(You can choose or or both)

Thursday, May 23, 2013

On a train ... Dans train

Entre deux grands voyages en train, ce texte me paraît adapté aux circonstances. Je l'ai écrit quelque part dans un train, en France, entre '94 et '98:
Tout plein de pensées.  Je ne sais pas pourquoi ça ne m’arrive que dans les trains.  Quand on est en voiture on doit regarder droit devant et faire bien attention.  Dans le train on ne peut pas regarder devant et il n’y a pas de choix à faire; le chemin est déjà tracé, même le conducteur n’a qu’une voie à suivre.

Notre avenir étant dans les mains de plus grands que nous, on est libre de préter l’attention à l’instantanée qui passe à côté.  Des champs, des arbres, maisons, vaches, vallées, collines, passent à toute vitesse.

J’aime les arbres, on en a chez nous en Angleterre, mais pas autant.  A la campagne les fermiers ont été saisis par la folie de l’efficacité - cette idole qui dévore tout.  Il a fallu couper tous les arbres, pour avoir ces quelques mètres de terrain en plus.  Et maintenant notre campagne frémis, dénudée.  Plus rien ne protège la terre et la récolte du vent. Les oiseaux qui mangeaient les insectes n’ont plus de nid.  Et les fermiers sont régulés par les quotas - avec une efficacité parfaite, sans doute.

Le plus fort des sentiments évoqués est le sens de notre finitude dans le temps et dans l’espace.  A l’entrée d’un village je vois une vieille maison en granit, ardoises.  Il y a un jardin, avec une carcasse de voiture qui pourrit doucement à côté d’un cabanon décrépit.  Au milieu des rangées de salades et poireaux, une vieille dame en blouse bèche lentement.  Peut-être qu’elle habite là depuis longtemps.  C’est ici que son mari l'a ramené après leur mariage, il y a toutes ces années.  C’est ici que sont nés ses trois filles et son fils.  C’est ici qu’elle a choisi de rester après le décès de son mari, plutôt que d’aller chez un de ses enfants.  C’est ici qu’elle veille sur ses légumes, et ses souvenirs.  C’est ici qu’elle attend la mort, sans crainte, mais espérant tenir jusqu’à la prochaine visite des petits enfants, le mercredi après-midi.  C’est ici qu’est toute sa vie, le centre de son univers, et je passe à côté dans l’espace d’une seconde.  Pendant une seconde mon univers frôle le sien, je ne connais pas sa vie, je ne connais pas son nom, je ne la reverrai sans doute jamais.  Cette maison qui pour moi n’est qu’une parmi les milliers d’autres est pour elle la maison.

D’un coup je me sens petit et grand à la fois.  Petit parce que mon univers n’est pas l’univers, ce n’est qu’un parmi tous les autres.  Grand parce que j’ai l’impression d’être sorti de mon univers, d’avoir été suspendu pendant un moment au dessus, quelque part où je pouvais voir un univers plus grand, dont le mien n’en faisait qu’une infime partie.

(Comment exprimer ce sentiment des pensées qui tournoient, brillantes, dans l’air, comme un ballon emprisonné au sommet de son vol ?  Pris hors du temps, au delà du temps, dans le silence, l’infini ... et puis à nouveau attiré dans le rythme et l’élan impétueux du train.)

Dans une ville de petite taille on traverse la gare.  Elle est grande, vieille, vide.  Il n’y a personne, il y a de la rouille sur les rails, de l’herbe entre les pavés.  Sur le hangar en bois, à moitié dépeint, un lambris balance dans le vent.  Dans le temps tout ça devait vibrer, maintenant c’est désert.

Une ligne de téléphone vient nous rejoindre sur le chemin, entre chaque poteau elle descend et puis remonte doucement, je regarde bien parce que je sais qu’après un moment mes yeux ne verront plus les poteaux et j’aurai l’impression d’un fil qui vol en ondulant comme le font les grives.  Je me rappelle la première fois que j’ai remarqué ça en Tunisie.  C’était sur un de ces trains à voie étroite qui sont perchés sur les rails comme une grosse femme avec des talons, et a chaque courbe en craint qu’elle va perdre son équilibre.  C’est là que j’ai rencontré pour la première fois cette ligne de téléphone, et depuis à chaque fois que j’en revois, j’aime me dire que c’est toujours la même, qui va d’un bout du monde à l’autre.

Elle s’en va, à travers les champs, sautant les haies sans effort, et faisant bien attention d’éviter les arbres.  Allez ! Salut !

A la prochaine..
Between two long train journeys, this text seems appropriate. Written somewhere in France, on a train, between '94 and '98:
A head full of thoughts.

I do not know why this happens to me on trains. When you're in a car you have to look in front and be careful. On the train you can’t see ahead and there are no choices to make; the route is already mapped out, even the driver only has one way he can go.

Our future being in the hands of someone else, we are free to let our attention wander to the now we can see out the window. Fields, trees, houses, cows, valleys, hills, all flashing past.

I love trees: we have them in England too, but not as many. In the countryside farmers went crazy with productivity - an idol that devours everything. They cut down all the trees to gain those few extra yards. And now our countryside shivers, naked. Nothing protects the soil and crops from the wind. The birds which previously ate all the insects have nowhere to nest. And the farmers are regulated by quotas - with perfect efficiency, no doubt.

The strongest feeling evoked is that of how finite we are, in time and space. At the entrance of a village I see an old granite house, with a slate roof. There is a garden with an old wreck of a car gently rotting beside a crumbling shed. Amid rows of lettuce and leeks, an old lady in an apron slowly hoes. Maybe she’s lived there for a long time. It is here that she came with her husband after their marriage, all those years ago. It is here that their three daughters and son were born. This is where she chose to stay after the death of her husband, rather than going to live with one of the children. Here she tends her vegetables, and her memories. Here she awaits death without fear, but always hoping that it will hold off until after the children’s next visit, on Wednesday afternoons. This is all her life, the centre of her universe, and I pass it in the blink of an eye. For a second my world touches hers, I don’t know her life, I don’t know her name, I will almost certainly never see her again. That house which for me is just another house is
home for her.

All of a sudden I feel big and small at the same time. Small because my
universe is not the universe, it is just one among all the others. Big because I have been drawn out of my universe, suspended for a moment somewhere where I could see a larger universe, of which mine was just a tiny part.

(How to convey the feeling of thoughts spinning brightly in the air, like a trapped ball at the apex of its flight? Caught out of time, beyond time, silently, infinity... then pulled back into the rhythm and rush of the train's motion.)

In a small town, we go through the station. It is big, old, empty. There’s no one, rust on the rails, grass between the paving slabs. On a shed with peeling paint, a half-detached wooden panel sways in the wind. Once upon a time this place must have been buzzing with life, now it is deserted.

A telephone line joins us by the track. Between each pole it gently dips and rises. I watch carefully because I know that after a while my eyes will no longer see the posts and instead just see a wire soaring and swooping like a thrush. I remember the first time I noticed this in Tunisia. It was on one of those narrow-gauge trains balanced on the rails like a fat woman on high heels, at each bend you fear she will keel over. This is where I met this phone line the first time, and ever since every time I see it, I like to think that it is always the same one, which stretches from one end of the earth to the other.

Off it goes through the fields, jumping hurdles effortlessly, being careful to avoid trees. 


Bye!

See you another time...

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